Les classiques

« 24 heures de la vie d’une femme » de Zweig, 1927


vingt-quatre-heures-de-la-vie-d-une-femme-de-stefan-zweig-a-ete-publie-en-1927« Vingt quatre heures de la vie d’une femme » de Stefan Zweig, 1927

Aux alentours de 1904 le narrateur se trouve plongé dans l’ambiance cosmopolite d’une pension de famille de la Riviera. Les sept pensionnaires se croisent, se livrent à des « Small talks » ; quelquefois les esprits s’agitent aussi.
Cette pension, qui « n’était qu’une dépendance moins chère, du Grand Palace Hôtel » est le théâtre « d’un parfait scandale ». L’arrivée, « au train de 12h20 », d’un jeune Français se distinguant par sa grâce et son amabilité perturbe l’atmosphère feutrée du lieu. « Sa présence était comme un bienfait », « à toutes les tables on parlait uniquement de lui et l’on vantait son caractère agréable et gai. ». Or, un soir, Mme Henriette, une épouse jusque là fort respectable, disparaît. Tous se démènent pour la retrouver jusqu’à ce que son mari leur expose son désarroi : « ma femme m’a abandonnée ». D’après la rumeur, elle aurait fui avec le jeune Français qu’on apprécie soudain beaucoup moins. On l ‘assimile même à Lovelace, le héros de Richardson, ignoble séducteur de Clarisse Harlowe… Certains ont d’autres références et le considèrent comme le charmeur de rats des contes populaires. Les supputations et les discussions vont bon train. Beaucoup sont prompts à condamner l’attitude de la dame, tandis que le narrateur prend finalement un malin plaisir à exposer un point de vue contraire. Selon lui, le coup de foudre est parfaitement envisageable, même pour une honnête mère de famille, surtout « si l’épouse est empêtrée dans de longues années d’un mariage ennuyeux ».
Les pensionnaires ne sortent pas indemnes de cette discussion qui a rendu notre narrateur fort sympathique aux yeux d’une vieille Anglaise, Mrs C….
« il y avait à notre table quelque chose d’irrévocablement détruit dans la loyauté et la franchise de nos rapports ».
Amusée et rassurée par l’attitude compréhensive du jeune homme, Mrs C va donc lui raconter un épisode effroyable de son existence, « une journée qui a profondément marqué (sa) vie, une obsession de tous les jours, un moment de folie, un seul ! », « un secret ». Ces confidences sont d’autant plus importantes pour elle, qu’anglicane, elle ne peut pas user de la confession pour soulager sa conscience.
Stefan Zweig, qui nous a déjà ravi par son art du portrait et l’humour avec lequel il dépeint ce type de microsociétés, se livre alors à un enchâssement de plusieurs récits. Mrs C raconte d’abord ses quarante premières années, parfaitement lisses, puis son veuvage. Les voyages qu’elle effectue alors ne sont qu’ « un vagabondage morne et sans éclaircie », « une fuite inavouée devant l’existence ». Elle se laisse aller à une non-existence, sans plus aucun désir, jusqu’à ce que le hasard exhibe sous son regard un jeune Polonais malheureux aux jeux, dans un casino de Monte-Carlo. Mais que faisait-elle donc là cette veuve aux désirs aseptisés ? Elle observait les mains de ses semblables. Et là je dois dire que Zweig, se livre à un sacré morceau de bravoure lorsqu’il consacre plusieurs pages, toutes sublimes, à la description de cette étrange habitude.
« une main droite et une main gauche qui étaient accrochées l’une à l’autre comme des animaux en train de se mordre, et qui s’affrontaient d’une manière si farouche et si convulsive que les articulations des phalanges craquaient avec le bruit sec d’une noix que l’on casse. »
Cette rencontre bouleverse l’héroïne et Zweig excelle dans les analyses psychologiques extrêmement fines mais souvent empreintes d’humour. Mrs C manie l’autodérision avec beaucoup de charme ! Il émane de cette écriture une sorte de simplicité et de légèreté en parfait décalage avec la situation….Un pur ravissement ! Sans concession, Mrs C narre son aveuglement, sa naïveté…Même si elle a bien conscience du tragique de cette aventure, son implication dans le récit souligne à quel point ces Vingt-quatre heures l’ont à la fois mortifiée et réveillée. Le jeune homme raconte à son tour son histoire et Mrs C endosse sans sourciller le costume de la mater dolorosa prête à accomplir une mission salvatrice dans un vulgaire hôtel de passe.
« pour la première fois, à l’improviste, une mission m’incombait : j’avais sauvé un homme, je l’avais arraché à la destruction, en mettant en jeu toutes mes forces ».
A-t-elle conscience qu’il semble la secourir tout autant ? Est-il possible de sauver aussi facilement un individu de ces cercles de jeux infernaux ? Va-t-elle le sauver ou signer un pacte avec le diable ?
Avec ce roman, Zweig nous offre une belle réflexion sur la passion dans tous ses états : réveil et déchainement des sentiments, addiction, chemin de croix…
« ses coudes paraissaient littéralement cloués au tapis vert », un pur bonheur de phrase !!!

A suivre prochainement sans doute un billet sur l’adaptation cinématographique de Laurent Bouhnik. Elle me fait de l’œil depuis un moment déjà. Le casting qui réunit Agnès Jaoui et Michel Serrault est déjà tout un programme.

3 réflexions au sujet de “« 24 heures de la vie d’une femme » de Zweig, 1927”

  1. Jusqu’à présent, c’est la nouvelle de Zweig que je préfère. Mais il m’en reste encore à lire.
    Le film est beau, l’esthétique est superbe.

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