Littérature étrangère

« Le Neuvième passage » d’Ashvin Krishna Dwarka


« Le Neuvième passage » d’Ashvin Krishna Dwarka, Editions de la Maison Noire, collection Thriller2013
Prix Jean Fancette 2013 Dwarka-1

Voici un roman mauricien d’un genre nouveau signé d’un jeune romancier prometteur, notaire de son état, et publié par une maison d’éditions tout aussi jeune.
Je n’irai pas encore jusqu’à le comparer totalement à Umberto Eco comme le fait le Dr Issa Asgarally, mais je dois dire que Ashvin Krishna Dwarka m’a totalement bluffée.

Il est des livres qui stimulent les méninges de leurs lecteurs, qui les tiennent en haleine tout en suscitant moult réflexions, Le Neuvième passage est de ceux-là. Il est des personnages attachants, que l’on veut voir réussir à tout prix et que l’on accompagne impatiemment dans leur quête, Bruce Dorian est de ceux-là. Il est des enquêtes policières qui vous changent profondément un homme, celle-ci vaut son pesant d’or. Il est de nombreux policiers ou thrillers, mais assez rares sont ceux qui mêlent le philosophique à l’énigmatique. C’est un défi que relève assez brillamment Dwarka.

Lorsque le détective anglais d’origine écossaise, Bruce Dorian, fraîchement débarqué à Paris, se rend à Neuilly pour les besoins de sa première enquête, il ignore encore que ses investigations vont opérer comme un vaste rite d’initiation. Il vient tout juste d’obtenir un détachement d’un an comme lieutenant à la Crime dans le cadre de la coopération des polices européennes. Cette mise à disposition de la police française est d’autant plus salutaire qu’elle lui permet de s’aérer après ce qui tient de la bavure. La monstruosité d’un suspect bangladais envers sa fillette l’a conduit à une réaction indigne de tout flic soucieux de respecter les procédures.
Il espère donc une enquête facile, histoire de se remettre de ses dernières tribulations à la Métropolitain Police. Les réalités vont vite le rattraper. Becquerel, l’un des médecins légistes du 36 Quai des Orfèvres, l’attend dans cette villa somptueuse de Neuilly, « Constantinople à Paris ». Il a beau le mettre en garde, Bruce ne peut qu’être saisi d’horreur devant l’état du cadavre d’Abdul Al Fulani, un saoudien négociant en produits pétroliers installé en France. Rien n’est épargné au lecteur non plus puisque le roman s’ouvre sur l’intrusion de plusieurs individus étrangement accoutrés qui exécutent celui qu’ils qualifient de mécréant avec la plus grande barbarie.
« C’était à présent sur cette table que siégeait la victime, figure principale d’une scène macabre sculptée par un artiste de l’horreur. »
Al Fulani a subi de multiples tortures, selon un mode opératoire directement hérité du Moyen âge, avant d’être empalé.
Bruce, accompagné de son collègue Verdot, rend compte de la situation au commissaire divisionnaire Maillol, qui se distingue à la fois par sa voix de baryton et sa cécité. Il doit cette infirmité à une interpellation musclée dans une usine chimique. Cet être surprenant et énigmatique est également le père de la charmante Marine Vauclair, la juge d’instruction chargée de l’affaire. Notons que Bruce ne semble pas totalement indifférent à ses charmes, même si elle aime exercer son humour caustique à ses dépends.
La situation est d‘autant plus délicate que les meurtriers n’ont laissé derrière eux aucun indice de contact. Les seuls éléments en leur possession demeurent des récépissés de fax et une étrange inscription, « Sic moriuntur Ismailiae », qui opère comme une signature. Le concours de Rovert, sous directeur des Affaires économiques et financières, n’est pas d’un réel secours.
Mais tandis que nos investigateurs cherchent une piste valable à laquelle s’accrocher, le mystérieux combattant de la Foi et ses acolytes semblent endosser le rôle de sérial killers. Les victimes se multiplient, succombant aux supplices les plus variés. Les assassins nourrissent manifestement une passion inquiétante pour les instruments de torture moyenâgeux jadis employés par l’Inquisition. Ces crimes sont-ils liés ? Sont-ils motivés par l’argent ? Lorsque l’on découvre le cadavre de Christophe Ferrière, un gosse de Barbès qui s’est enrichi dans l’import export avant de se convertir à l’Islam, on ne peut qu’être frappé par l’allure de son appartement, « indécente oasis de luxe ». « Encore une fois, c’était la richesse qui semblait avoir attiré la mort ». Mais comment interpréter cette inscription latine récurrente et l’usage systématique de la poire d’angoisse ?
Bruce s’égare tout autant dans les conjectures que dans les locaux de la Crime.
« Au pays de l’esprit cartésien, l’architecte qui avait conçu les locaux de la Crime avait dû être une sorte d’hérétique. »
Verdot voit dans cette succession de crimes monstrueux la réalisation de la neuvième prédiction de Nostradamus, Bruce se demande s’il ne s’agit pas des exploits d’un passionné d’histoire devenu psychopathe. Ses fréquentes visites au professeur Langlois, ami de ses parents et spécialiste du Moyen âge, ces « âges sombres », ce nadir de la civilisation occidentale, l’aideront peut-être à démêler les fils de ce qui se présente comme une intrigue inextricable.
Je n’en dirai pas plus histoire de ne pas déflorer ce récit palpitant. Le scénario est fort bien ficelé, documenté et intelligent. Dwarka réussit un vrai tour de force en tissant les avatars des Templiers et des Ismaelis, héros des temps ancestraux à ceux des terroristes des temps modernes. L’histoire comporte sa dose d’horreur et nous hérisse les poils. Les personnages sont très bien campés…Le lecteur est vraiment happé par tout cet univers. Il attendra sans nul doute le prochain opus en cours d’écriture paraît-il. On n’a qu’une envie : dévorer la suite des aventures philosophico-policières de Bruce. On a également envie de savoir, je l’avoue, s’il succombera à la belle Marine.
Je terminerai ce billet par deux petits bémols. L’auteur se laisse parfois aller à quelques clichés d’écriture, surtout dans les cent premières pages. Je ne suis pas fan des visages d’obsidienne par exemple. C’est là un réflexe fréquent dans les premiers romans, que Dwarka corrige au fil de la narration. Je trouve aussi que le récit est parfois inutilement bavard. Certains dialogues m’ont semblé un peu longs et peu utiles. Ce sont vraiment deux tout petits bémols, ce thriller présente en effet de très très belles qualités d’écriture.

Ashvin Krishna Dwarka est assurément un auteur à suivre. ashvin_dwarka

4 réflexions au sujet de “« Le Neuvième passage » d’Ashvin Krishna Dwarka”

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